La femme et la pornographie : qu’en est-il vraiment ?
- noustoutesparis1
- 8 avr. 2020
- 18 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 janv. 2022
Par Alice ROUSSEAU
Il est un constat indéniable : la fréquentation et l’importance de la pornographie ne cessent de croître dans les sociétés occidentales. De là, beaucoup d’études et de questionnements mériteraient d’attirer notre attention, toutefois, focalisons-nous dans cet article sur le lien spécifique entre la femme et la pornographie, tant celui qu’entretient la femme vis-à-vis de la pornographie que celle-ci vis-à-vis de la femme. L’objet de cet article n’est pas ici de condamner ou d’inciter à la pornographie, mais d’en saisir les répercussions de la manière la plus neutre possible.
Auparavant, le sujet de la pornographie relevait de la sphère privée car il était connoté à l’immorale. Dans la société, un grand tabou s’était alors établi autour de la pornographie. Aujourd’hui, il en va désormais autrement. Cette pratique est devenue un véritable sujet de société. Ce changement est lié à la facilité de sa diffusion et donc de son accès par le biais d’internet, engendrant un plus grand marché du sexe depuis quelques décennies. La pornographie est surtout abordée par les médias sous le prisme des dangers qu’elle représente pour les mineurs. Selon diverses études récentes, il n’est pas rare que des enfants âgés d’à peine sept ans n’aient été confrontés à visionner un film à caractère pornographique. Moins abordé mais pourtant tout aussi préoccupant, le rejaillissement de ces films sur l’image et la conception de la femme en tant que femme-objet est une des conséquences très critiquables de la pornographie sur notre société. En effet, ces films mettent trop souvent en scène des femmes soumises et violentées par les hommes pour le seul plaisir de ces messieurs niant alors tout plaisir féminin. En conséquence, ce cinéma est souvent condamné. Mais existe-t-il un autre cinéma à caractère sexuel ? Cet article vous en donne la réponse...
Tout d’abord, rappelons que la pornographie a existé de tout temps. Allant de la peinture et aux images de l’Antiquité romaine à la littérature du Kamasutra en Inde réalisé au IVe de notre ère, la pornographie est aussi vieille que courante. Continuant de se répandre tout au long de l’histoire et partout dans le monde, ce phénomène connaît un tournant dans la seconde moitié du XIXe siècle où la photographie s’immisce dans cette industrie. C’est ensuite autour de 1900 que le film s’installe comme un médium privilégié de la pornographie. Au cours du XXe siècle, ces films seront d’abord disponibles dans des vidéo clubs et puis arriveront peu à peu dans les maisons avec la création d’internet. C’est le grand tournant de la pornographie, créant ainsi un marché du sexe colossale et très prolifique. Précisons que la pornographie n’est pas légale dans tous les pays du monde. Elle est autorisée principalement dans les pays occidentaux où le poids de la religion et de certaines valeurs ne sont pas aussi importantes que dans d’autres parties du monde. La plupart des religions condamne la liberté sexuelle. Ce tabou que véhiculent les religions fait donc sens avec le résultat de l’étude cartographique présentée ci-dessous.

Cartographie de la légalisation de la pornographie dans le monde :
VERT : Pornographie légale JAUNE: Pornographie légale sous restrictions
ROUGE: Pornographie illégale GRIS: Pas d'information
La pornographie porte-t-elle atteinte à la dignité de la femme ?
Sans aucun doute, la plus grande partie de la pornographie répandue sur les nombreux sites qui y sont dédiées dégrade la femme et son image. Beaucoup condamnent la pornographie dans son ensemble, faisant des approximations et ne discernant pas les ambitions des différentes pornographies. À mon sens, la pornographie n’est pas entièrement mauvaise. Il faut avant tout distinguer les différentes pornographies présentes sur le marché du sexe. Tout d’abord, il existe la pornographie dite « mainstream » et « pro-am ». La pornographie « mainstream », c’est-a-dire la plus courante, est « hardcore » comme le constate Myriam Le Blanc Élie, Julie Lavigne et Sabrina Maiorano dans leur article intitulé, La Cartographie des pornographies critiques. Comme le pro-am (pornographie mi-professionnel mi-amateur) qui imite les codes du film amateur mais qui, en réalité, est réalisé par des professionnels, cette pornographie en scène des scenarii très critiquables où l’on voit des femmes sur qui les hommes crachent, étranglent ou giflent. Lors des tournages, il arrive même que ces femmes pleurent de douleur en raison de la violence des rapports sexuels. Ce n’est que qu’au montage que le réalisateur coupe ces scènes. Toute personne dotée de quelque bon sens et d’empathie peut comprendre et donc condamner ce genre de pratiques qui se rapproche davantage de l’agression sexuelle que d’une mise en scène des désirs pleinement consentis par les acteurs. On ne peut continuer à tolérer cette maltraitance vis-à-vis des actrices, qui sont avant tout des femmes, des êtres humains. Comme l’explique Ovidie, une célèbre pornographe et actrice X : « payer pour un acte sexuel ne signifie pas qu’on s’approprie le corps de l’autre. On paye pour un service sexuel, c’est tout. Non, mon corps n’est pas une marchandise, c’est un outil de travail. ». Autrement dit, l’accord et le paiement de services sexuels tant dans la prostitution que dans la réalisation de films pornographiques ne signifient pas que les clients ou producteurs/réalisateurs/acteurs puissent se permettre tout et n’importe quoi vis-à-vis du corps de la femme. Cette pornographie nuit non seulement aux femmes mais aussi aux hommes. Comme très souvent, le féminisme – qui consiste à revendiquer une égalité en droit et sociale avec les hommes – profite aussi aux messieurs car il permet d’enrayer un schéma social archaïque enfermant l’homme dans des stéréotypes (idée d’un être fort, dénué de toute sensibilité, etc.) et où la femme soumise est là, toute dévouée, pour servir « son homme ». Dans ce porno mainstream, les hommes sont réduits à ces rôles très stéréotypés où ils jouent des machos, « beaufs », des brutes épaisses sans grand cerveau ni aucune sensibilité. Ce type de pornographie ne convient pas à la fois ni à toutes les femmes ni à tous les hommes qui ne se retrouvent pas dans cette pornographie exempt de toute sensibilité et érotisme.
Par conséquent, il me semble évident que cette pornographie du mainstream et du pro-am est condamnable puisqu’elle manque à la fois d’éthique, d’actualisation des valeurs sociétales et de respect. Aussi, au vu de ce constat, il est surprenant de remarquer encore aujourd’hui un grand laxisme dans la législation et le contrôle de ces pratiques. Cela est d’autant plus frappant, qu’étudiant le droit, on ne cesse de nous louer les valeurs de celui-ci, son essence et pour autant, il reste timide pour être cordial et plutôt inexistant pour être honnête dans le domaine de la pornographie. Éviter les abus, veiller à la protection de tous ou encore rejeter le droit du plus fort, voilà l’essence même du droit qui ne semble ici que très partiellement respecté. Les scenarii de cette pornographie renferment la femme dans un statut de femme-objet asservie aux seuls plaisirs de l’homme, encourageant et renforçant ainsi les anciennes valeurs assez archaïques du patriarcat.
Loin d’être l’unique côté néfaste de cette pornographie, beaucoup d’études pointent du doigt l’accessibilité gratuite et facile via internet par les jeunes générations. Selon le psychologue et criminologue Jean-Pierre Bouchard, la mise en scène de cette violence dans les relations sexuelles pourrait interférer dans les relations hommes/femmes. Après un long travail d’analyse suite à de nombreux entretiens cliniques auprès d'agresseurs sexuels, il constate les désastres de ces films qui brouillent les repères entre fiction et réalité. Il avance que « toutes les études conduites sur les grands prédateurs sexuels montrent que c'est à l'adolescence qu'ils sont devenus dangereux, quand ils ont établi un lien entre violence et jouissance sexuelle ». Entendons-nous bien, regarder des films pornographiques à tendance de domination féminine ou masculine n’est pas condamnable, au contraire, cela relève de la liberté de chaque adulte mais il faut toujours veiller au respect des acteurs et actrices. L’âge, et conséquemment l’expérience, de ceux qui visionnent les films à caractère pornographique sont aussi des critères importants à prendre en compte et que la société devrait davantage encadrer. En effet, seuls l’âge et l’expérience permettent à la personne, homme comme femme, de bien distinguer la fiction de la réalité de ce type de films. Les jeunes générations n’ont pas nécessairement le recul qui permet d’opérer cette scission entre fiction et réalité. Ils prennent alors ces films comme une sorte d’éducation sexuelle, et comme toute éducation, la jeune personne lorsqu’elle apprend, reproduit ce qu’elle a vu. Bien sûr, le problème étant que les enjeux d’une telle pratique peuvent avoir des conséquences nettement plus graves chez l’enfant que l’adulte comme l’explique Jean-Pierre Bouchard. Par exemple, la pornographie met souvent en scène le viol collectif ou le « gang bang », qui est une pratique où une personne a des relations sexuelles avec plusieurs partenaires mais contrairement à la partouze où tout le monde se mélange, la première personne citée reste au centre du jeu. Dans ces scènes, la femme est toujours en position de faiblesse, de soumission et possédée par plusieurs hommes à la fois. Au départ, l’actrice simule un jeu de mécontentement mais à la fin de la scène elle feint de ressentir finalement une très grande jouissance. Cet exemple montre parfaitement la confusion dans la notion du consentement qui peut naître chez les jeunes consommant, par ailleurs, de plus en plus de pornographie avant leur premier acte sexuel. Les contours du consentement deviennent floues et ces derniers munis de peu d’expériences s’y perdent.
Ce phénomène se renforce avec le porno amateur et le pro-am qui utilisent pour ce genre de scènes des smartphones rendant la scène alors plus réaliste. La pornographie serait plus respectueuse de la femme si les actrices travaillaient dans des conditions de travail meilleures, autrement dit simplement respectueuses d’elles-mêmes. Si les spectateurs, visionneurs ne se rendent pas compte devant leur écran du traitement affecté aux actrices sur le tournage des films, en voici un bref aperçu. Nous ne pouvons encore une fois que condamner ce type de pornographie mainstream et pro-am qui entretient des conditions de tournage déplorables : exécution de scènes tournées à la chaîne, exposition aux maladies sexuellement transmissibles, réalisation de scènes violentes, douleurs physiques, manque, absence et même transgression du consentement de l’actrice... Certes tous les tournages ne sont pas réalisés dans de mauvaises conditions, tout dépend de l’équipe de tournage. Néanmoins, faire dépendre le respect de certains droits à la volonté de quelques uns n’est guère louable et conseiller.
Par ailleurs, la réalisation de ces films X sont dangereux pour la santé de tous, hommes et femmes, car ils exécutent les scènes sans protection. Bien qu’un dépistage quotidien tous les 14 à 30 jours soit effectué, cela n’endigue pas tous les risques de maladies sexuellement transmissibles et sont en pratique relativement courantes. S’il faut retenir quelque chose de la pornographie mainstream ou pro-am, c’est l’hypocrisie. Hypocrisie dans les conditions de travail, hypocrisie dans le marketing des sites X, hypocrisie de la société qui ne prend pas suffisamment au sérieux ce sujet. Ajoutons à cela à un manque de législation évidente, de contrôle et de surveillance dans le milieu opaque qu’est la pornographie, pour aboutir à un constat désolant et sans appel. Vous vous poserez alors de nombreuses questions : pourquoi les choses n’évoluent-elles pas ? Pourquoi les actrices ne disent-elles rien si la situation est si préoccupante ? La raison est simple : les actrices sont bloquées, elles ne peuvent pas se plaindre au risque de voir leur carrière s’arrêter d’un coup d’un seul car le milieu est petit et les bruits se colportent facilement. Alors, que faire quand une critique risque de leur coûter leur carrière ? Comme tout le monde, elles ont des responsabilités, elles doivent payer leurs factures à la fin du mois, élever leurs enfants. Bref, elles ne peuvent pas se permettre de voir leur source de revenus disparaître. Certains qui restent encore sceptiques rétorqueront stupéfaits « qu’elles changent de métier ! ». Mais, ce n’est pas une réponse. Inciter un travailleur à changer de métier parce qu’il y a un vide législatif, ce n’est évidemment pas une réponse éthique. Malheureusement, la législation entourant la pornographie subit quelques relents de vieilles mœurs de la part de ceux qui font la loi. Pourtant, hier comme aujourd'hui, il y a des actrices et acteurs X. Or, détourner les yeux, et ignorer la situation actuelle ne fait point disparaître la réalité. Un apport de protection légale amènerait les producteurs à se plier à une certaine éthique et à un respect vis-à-vis des actrices.
Un ouvrage intéressant est le livre Judy, Lola, Sofia et moi écrit par Robin d'Angelo, journaliste de formation, qui relate son immersion dans le monde de la pornographie en nous présentant plusieurs portraits ainsi que le sien. Les divers profils sont tous tirés de la réalité. On y apprend notamment les raisons de leur engagement dans ce domaine. On a d’abord Judy qui s’est mise au porno parce qu’elle avait des dettes financières à régler, puis Lola qui a été abandonnée par ses parents puis récupérée par eux avant d’être violée par son père de ses 8 ans à 13 ans. Il n’est pas rare de trouver ce genre de profils même si toutes les actrices n’ont pas vécu une expérience traumatisante. Mon propos n’est pas de dire que toute une actrice X se dirige vers cette carrière en raison d’expériences traumatiques vécues car ça reviendrait à dire que les actrices X sont des victimes et ne font pas des choix libres. Il ne faut pas oublier que certaines le font par curiosité ou par nécessité d’argent par exemple. Néanmoins, les femmes, comme Lola, ayant été abusées très jeunes enclenchent un mécanisme de banalisation de la violence. Nommée comme une « dissociation traumatique » par la psychiatre Muriel Salmona, il s’agit d’une conduite à risque concernant le sexe ou les drogues. Ce comportement se rapproche d’une « tentative d'auto-traitement de la souffrance » liée à une mémoire traumatique. Certains n’hésitent pas à profiter consciemment de la détresse de ces jeunes femmes comme on peut le voir avec Dimitri Largo, distributeur indépendant qui affirme que « les actrices, c’est de la chair à canon. Elles sont complètement englouties dans une détresse affective. ». Il poursuit : « Et c’est des victimes. Mais t’es victime dans le porn comme t’es victime de faire caissière au Franprix. Moi j’ai pas de pitié pour les victimes. Si t’es perdue, t’es perdue ». Au final, très peu de femmes selon les statistiques pratiquent ce métier par volonté, par libre choix, autrement dit, sans être contraintes par une réalité économique ou un traumatisme psychologique.
Toutefois, si les conditions de travail étaient meilleures, cela pourrait probablement évoluer. Malheureusement, encore aujourd'hui, la pornographie est un milieu très masculin. Le mouvement Metoo n’a pas eu d’influence sur ce milieu. La gente masculine se trouve à toutes les échelles de production du porno. Ce sont des « producteurs de films grand public, des responsables du financement cinéma dans les chaînes télé, des directeurs des grands réseaux de distribution, des directeurs de grands festivals de cinéma, des programmateurs de salle, des réalisateurs primés dans les grandes compétitions ». Cette donnée hiérarchique est non négligeable pour comprendre la pornographie mainstream actuelle. On comprend mieux pourquoi celle-ci tourne essentiellement autour du désir masculin et exclue le désir féminin. Erika Lust, grande figure du porno féministe s’en plaint : « Dans la majorité des productions pornographiques les réalisateurs sont des hommes. Le propos est donc centré sur le plaisir masculin et les femmes sont réduites à la passivité, présentées comme soumises. L’imagerie est très réduite, elle est centrée sur les organes génitaux et un enchaînement de positions ». Autrement dit, le porno actuel est marqué du male gaze, c’est-a-dire une perspective d’homme hétérosexuel, et ça s’explique par la place significative qu’occupent les hommes au sein de l’industrie du porno. En effet, ils « décident des scénarios dignes de devenir des films, des castings, des budgets alloués aux uns et aux autres, des films qui seront largement distribués, des films qui seront défendus. Ils décident quelles sont les actrices aptes à porter les films, quel est leur âge, quelles sont leurs qualités, quel est leur physique. Ils décident du style de femmes aptes à passer au grand écran – quelle est leur race, leur travail, leur voix, leur vocabulaire ».
Enfin, le porno est une industrie et comme toute industrie, la question de la rentabilité est fondamentale. En quête de profit, l'éthique et le respect passent souvent à la trappe. Les producteurs et réalisateurs peuvent aller jusqu’à sacrifier le consentement de l’actrice pour avoir des scènes plus trash qui seraient plus vendeuses. Comme se confit Judy dans le livre de Robin D’Angelo, « ils le font exprès, ils ne sont pas fous. Il faut qu’ils rentabilisent. Plus ils font de scènes, mieux c’est. Et plus c’est glauque, plus la fille a l’air de se demander ce qu’elle fait là, plus ça marche ». Seules les actrices les plus célèbres peuvent imposer leurs conditions mais pour toutes les autres, c’est-a-dire la grande majorité des actrices, cela n’est pas possible. Souvent, les films se tournent sans que l’actrice connaisse le déroulement du film. Certains producteurs veulent jouer sur la surprise comme le montre piteusement l’expression employé par l’un d’eux « ça passe ou ça casse ». A entendre les hommes de ce milieu là, on comprend mieux le manque d’empathie et la forte déshumanisation de la femme dans les films pornographiques. En général, l’actrice demande une augmentation de sa paie en compensation de cette violence sexuelle.
Le problème étant que c’est une violence ne devrait pas être acceptée à l’instar des autres métiers. Le code du travail et le bloc de constitutionnalité prévoient le respect des employés par leurs employeurs et des Hommes en général. Il est donc déconcertant qu’une exception se fasse dans le domaine de la pornographie. N’oublions pas que si le spectateur reste extérieur au tournage, la scène a, quant à elle, été véritablement tournée et n’est plus du simple ressort de l’imagination comme le fantasme peut l’être. Ce sont des « êtres en chair et en os » qui incarnent le fantasme de millions de spectateurs comme dirait Virginie Despentes, grande réalisatrice de pornographie féministe. Il faut donc agir en conséquence et prévoir davantage de sécurité et de respect dans les conditions de travail pour éviter les abus et les violences.
Quel rejaillissement la pornographie a-t-elle sur le féminisme ?
La pornographie est une question qui divise les féministes depuis les années 1970-1980 depuis ce qu’on appelle les « Feminist Sexe Wars ». D’une part, on trouve des féministes qui répriment la pornographie alors considérée comme une traite d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, comme un viol tarifié ou encore comme la mise en avant de violences sexuelles. D’autre part, on rencontre des féministes dites « pros-sexe » qui revendiquent une pornographie différente de celle mainstream. Il s’agit de la pornographie dite féministe où le public est autant masculin que féminin. Les deux courants féministes critiquent la trop grande influence de la pornographie sur la population masculine et féminine dans les pratiques sexuelles et critiquent les diktats que la pornographie impose. En effet, depuis l’essor considérable de la pornographie par internet, psychiatres et psychologues constatent des comportements sexuels différents, parfois plus violents. Néanmoins, est-ce vraiment lié à la pornographie ? Le développement des technologies multiplie les approches que les individus peuvent avoir avec la sexualité. Par exemple, l’apparition des sextapes peut dans certains cas débouche sur un type de vengeance bien triste et condamnable appelé le revenge porn, traduit par pornodivulgation en français. Par ailleurs, la pornographie installe aussi des modes qui dépassent cette industrie. À titre d’exemple, on relève notamment une tendance penchant vers une l’épilation intégrale du pubis.
D’ailleurs, arrêtons-nous quelques instants sur la question de l’épilation intégrale qui est assez emblématique des diktats imposés à la gente féminine. Beaucoup estiment les poils pubiens comme sales, dégoûtants, répugnants, etc. C’est une considération tellement normalisée chez les hommes comme chez les femmes que l’on n’y prête plus attention. Pourtant, parmi les femmes qui liront cet article, demandez-vous si vous ne vous êtes pas déjà blâmées de ne pas vous être épilées pour votre compagnon ou votre compagne, ou encore juste pour consulter un médecin ? Les cabinets médicaux voient fréquemment des patientes s’excuser de ne pas avoir eu le temps de s’épiler. Ces excuses s’expliquent aisément : la société considère les poils féminins comme sales et l’épilation est alors considérée comme obligatoire. Par exemple, une étude d’IPSOS, réalisée en 2013, montre que 87 % des françaises estiment indispensables l’épilation des aisselles. À la différence des femmes, même si l’épilation connaît une mode chez les hommes, les poils restent considérés comme virils. J’imagine que pour les sceptiques de la cause féministe, cela est difficile à entendre et pourtant vivre selon les diktats d’une société l’est davantage !
A priori, l’épilation n’emporte aucun grand débat, c’est l’histoire de chacun. Toutefois, l’épilation soulève une réalité sociologique, celle de la domestication de la femme. Quand la société lui conseille d’enlever ses poils, c’est son côté animal que l’on brime et le patriarcat que l’on affirme comme l’écrivait justement la féministe australienne Germaine Greer dans son livre La Femme eunuque : « l’imagination populaire, assimilant le système pileux à la fourrure, y voit un indice d’animalité et d’agressivité sexuelle. Les hommes le cultivent [...]. Les femmes le dissimulent, de même qu’elles évitent de manifester leur vigueur et leur libido. Si elles n’éprouvent pas spontanément une répulsion suffisante pour leurs poils, d’autres les inciteront à s’épiler ».
Enfin, rappelons que les poils pubiens ont une fonction, celle de protéger la vulve des infections !
Revenons-en au courant féministe demandant l’abolition totale de la pornographie. Ce courant compare aussi bien la prostitution et la pornographie à un viol tarifié. Pour Catherine Mc Kinnon, féministe, cela va même au-delà considérant que la pornographie est une incitation au viol. Quant à Andrea Dworkin, grande figure du féminisme radicale, elle déclare que « quand ton viol devient distraction, ta destruction est absolue ». Dworkin critique doublement la pornographie. Elle dénonce d’un côté, les violences faites aux femmes sur les tournages de films pornographiques et d’un autre côté, ses conséquences sociales, encourageant les hommes à fantasmer sur la domination, l'humiliation et les violences sexuelles. Ces féministes critiquent ainsi une banalisation du viol, une marchandisation des corps et un patriarcat réaffirmé par la pornographie.
Si le porno mainstream est vivement critiqué, pour certaines féministes l’abolition totale de la pornographie n’est pas la solution la plus enviable. Comme dans tout domaine où on l’on aperçoit un manquement éthique et législatif, on constate des abus. Cependant est-il vraiment judicieux de condamner toute pornographie? La réponse est négative pour les féministes pros-sexe. Revendiquant leur droit à disposer de leur corps et clamant la libération sexuelle, la pornographie féministe est pour ces femmes un moyen de se réapproprier leur sexualité. Pour contrer l’hégémonie de cette pornographie déplorable, le cinéma à caractère sexuel féministe a de grandes ambitions. L’objectif est de réinventer le porno. Contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, cette pornographie s’adresse aux hommes et aux femmes conjointement. Elle ne se focalise pas exclusivement sur le plaisir féminin, c’est en cela qu’il ne faut pas confondre avec le porno féminin qui lui vise à satisfaire uniquement le plaisir de la femme. Cette pornographie, se développant en Europe et aux États-Unis, propose simplement une éthique dans l’industrie du sexe et un respect des performeurs et de leur consentement, de meilleurs conditions de tournage, une préférence pour le port d’une protection et la proposition d’une variété de corps dans le but de déculpabiliser sa relation au corps. Erika Lust, autre figure de proue de la pornographie féministe, insiste sur les droits des performeurs comme le montre son tweet (ci-dessous) :

Ce sont des films remettant au goût du jour une sexualité incarnée, non plus mécanique mais où il se passe une réelle symbiose entre les acteurs. Comme le défend Ovidie, une célèbre réalisatrice, écrivaine et ex-actrice X, figure majeure de la pornographie féministe, elle cherche à « faire une pornographie qui montre des gens en train de prendre du plaisir de manière saine, pas des filles qui font la tronche en se faisant démonter ». Autrement dit, à bas l'exploitation de clichés racistes, sexistes et misogynes ! À bas le désir unique de l’homme ! À bas la domination masculine ! Place à une pornographie plus actuelle !
À la différence du porno mainstream, ce nouveau genre est payant et ne se retrouve pas sur des plates-formes dites « tubes » comme YouPorn, Pornhub... Son contenu est en revanche disponible sur des plates-formes comme Four Chambers (de Vex Ashley) ou Xconfessions (d’Erika Lust) par exemple. Il ne coûte pas très cher mais permet plusieurs garanties. D’une part, il permet une rétribution plus juste pour les acteurs, l’équipe de tournage et la réalisatrice. D’autre part, il assure un meilleur contrôle des spectateurs, notamment des enfants puisqu’une carte de crédit est nécessaire. Indirectement, si les tubes étaient interdits, cette pornographie pourrait donc solutionner le problème de visionnage des films à caractère sexuel par les enfants qui fait tant débat. Mais comme toujours, les lobbys de l’industrie du sexe sont puissants et empêchent pour le moment un tel projet. Enfin, ce système pourrait aussi éviter une certaine consommation de masse et conséquemment limiter les addictions relatives au sexe de plus en plus courantes.
L’Allemagne, plus ouverte que la France sur les sujets relatifs à la liberté sexuelle, a vu, en 2018, le parti social-démocrate (SPD) faire une proposition afin que le porno féministe soit subventionné par l’état, la présentant comme une réelle alternative à la pornographie mainstream qui est dégradante pour la femme, enfermant l’homme dans les stéréotypes dépassés de virilité et comblerait un certain un manque d’éducation sexuelle.
Si les premières images et les premiers films à tendance pornographiques ont été réalisés dans des maisons closes pour le plaisir exclusif des hommes, aujourd’hui il en va autrement. Avec le constat d’un public de plus en plus féminin, l’industrie du sexe change mais il change lentement. Celle-ci cherche la rentabilité comme tout marché. Or, le constat d’une augmentation de la fréquentation des sites pornographiques par les femmes ces dernières années fait bouger le marché. En effet, un sondage en 2006 faisait mention d’une fréquentation à hauteur de 4 % pour le visionnage d’au moins un site X par les femmes mais désormais, un récent sondage Ifop de 2019 établi cette fréquentation à 47 %, soit près d’une femme sur deux. En un peu plus de 10 ans, le visionnage de films X aurait augmenté d’environ dix fois. Ce nouveau phénomène entraîne des conséquences sur le type de pornographie. L’enjeu est important car si jusqu’alors les films pornographiques venaient combler exclusivement le désir masturbatoire des hommes imposant souvent des situations misogynes au spectateur, dorénavant le porno féministe place le plaisir féminin au centre de sa politique. Bien sûr, il tient aussi compte du plaisir masculin mais ce qui est révolutionnaire, c’est de penser une pornographie où l’on inclut le plaisir de la femme. Bien qu’encore minoritaire, ce porno est de plus en plus en vogue et des grands noms de réalisatrices émergent ! Les leaders du marché du sexe changent eux aussi. Par exemple, ce nouveau marché du plaisir féminin incite aussi la société Dorcel a créé en 2009 un site réservé aux femmes où les films sont exclusivement pensés pour les désirs de la femme. Pour certaines réalisatrices de pornographie féministe, comme Vex Ashley, ce nouveau genre de pornographie dépasse la finalité même de cette pratique qu’est l’acte masturbatoire. Selon elle, elle détient un caractère artistique au même titre que la peinture et la sculpture et la sort de son habituel carcan « d’art trivial ». Selon cette jeune pornographe, il s’agit d’un travail créatif où le corps est le médium artistique !
Si l’article vous a intéressés et si vous désirez approfondir cette thématique, je vous conseille les deux ouvrages suivants :
- OVIDIE, Libres ! Manifeste pour s'affranchir des diktats sexuels, Éditions Tapas, 2017
- DANGELO Robin, Judy, Lola, Sofia et moi, Éditions Goutte d'or, 2018
Si l’article vous a intéressés et désirez aller plus loin, je vous conseille les deux ouvrages suivants : - OVIDIE, Libres ! Manifeste pour s'affranchir des diktats sexuels, Éditions Tapas, 2017 - DANGELO Robin, Judy, Lola, Sofia et moi, Éditions Goutte d'or, 2018
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